Marie Rennard
(Swans - 24 août 2009) Partout dans le monde le système capitaliste et le libéralisme, formidables créateurs de richesse, se sont imposés dans les démocraties, nuancés dans leur application sociale par les gouvernements élus. Certains pays d'Europe, notamment la Finlande, la Suède et la Norvège, ont su mieux que d'autres développer des garanties sociales afin de protéger les plus faibles ou les plus démunis de leurs citoyens, mais qu'en est-il chez nous en France ? Nous nous proposons de consacrer une série d'articles à la pauvreté dans notre pays, où certaines catégories sociales, malgré un système d'aides parmi le plus perfectionnés d'Europe, n'arrivent plus à faire face aux besoins élémentaires : se loger, se nourrir, se soigner.
Ce premier article sera consacré à l'exposé de la précarité chez les retraités, dont plus d'un million vivent dans notre pays avec moins de 680 euros mensuels, souvent bien moins. Un million de personnes, c'est presque 10% de nos retraités, des gens qui ont travaillé toute leur vie, souvent dans des conditions difficiles pour des salaires minimums, qui n'ont pu épargner assez d'argent pour s'offrir leur propre logement et se voient contraints de fréquenter les associations caritatives pour assurer leur subsistance.
Le phénomène est relativement récent, et procède de plusieurs causes. Là où les retraités des Trente Glorieuses ont connu une situation enviable -- l'âge d'or des vieux, ceux d'aujourd'hui ont vu leur parcours perturbé par des années de chômage ou de sous-emploi qui se traduisent par une diminution de leurs allocations, proportionnelles à la durée de cotisation et au montant des salaires perçus. Parallèlement à la baisse relative du montant des pensions, la constante augmentation du prix des loyers, ainsi que le manque de logements sociaux, (1) ont rendu impossible pour nombre d'entre eux le maintien, ou l'accession au logement. Prenons le simple exemple d'une concierge parisienne, qui dans le cadre de ses fonctions dispose d'un appartement dans l'immeuble dont elle assure l'entretien. Arrivée au bienheureux âge où elle peut s'arrêter de travailler, ses revenus se trouvent sensiblement diminués. Pour 900 euros de salaire mensuel, il lui restera environ 600 euros de retraite, et plus de logement. La situation d'un employé de l'industrie -- qui disposera, lui, d'un bail inamovible à son nom, ne sera pas beaucoup plus enviable, et dans tous les cas, la quasi-totalité de leur pension de retraite servira tout juste à couvrir le montant de leur loyer. Or, au cours des dix dernières années, le prix des logements en location n'a cessé de croître, bien que depuis le début de l'année cette hausse semble s'être stabilisée. Les retraites, elles, n'ont guère connu de revalorisations.
Il n'est jamais facile pour le lecteur pressé de se lancer dans le détail de la gestion des administrations, mais c'est souvent le seul moyen d'en démêler les réalités. Comment sont revalorisées les retraites ? Depuis 2009, un nouveau mode de calcul leur est appliqué. Les pensions sont désormais indexées sur la moyenne annuelle des prix à la consommation hors tabac, c'est-à-dire non pas sur l'écart entre l'indice du mois écoulé et celui du même mois de l'année précédente, mais sur la moyenne annuelle de l'augmentation. Subreptice manœuvre mathématique qui, appliquée à l'année 2007, qui a connu une forte inflation, aurait fait passer le chiffre de l'indexation des retraites de 2,5 à 1,5%.
Qu'est-ce d'ailleurs que 2.5 % de 680 euros ? 17 euros exactement, ramenés à 10.20 euros, qui si dérisoire qu'ils soient sont importants pour ceux qui ne peuvent plus payer et se voient contraints de déménager dans des appartements plus petits, et plus éloignés des centre-ville, mais ne peuvent faire face aux garanties demandées par les agents immobiliers qui réclament, le plus souvent, deux mois de loyer en caution, et un troisième pour la gestion de dossier. Ces retraités, qui vivent au jour le jour, n'ont pas devant eux les sommes nécessaires, et se retrouvent, au mieux en foyer d'accueil, comme ce retraité marseillais, au pire, à la rue, cherchant chaque jour un foyer de SDF pour la nuit suivante. Dans le meilleur des cas, ce qui reste de leur retraite ne suffira pas à les nourrir, quant à financer les frais médicaux...
Paulette, qui vit, à 70 ans, en milieu rural après avoir travaillé toute sa vie sur les marchés -- tâche pénible s'il en est, est divorcée. Elle vit seule dans une toute petite maison isolée qu'elle a acheté, après son divorce, avec les économies de toute une vie, 50 000 euros tout rond. Avec ses 710 euros mensuels, et un toit sur la tête, elle s'en sortait à peu près bien, grâce à un coin de potager et à la réalisation de petits travaux de couture au noir (2) qui lui rapportaient à peu près 200 euros par mois. Jusqu'à ce que deux évènements viennent la plonger dans une situation insurmontable. Sa vieille voiture l'a lâchée. A la campagne, où le premier magasin, et même la poste, sont à plus de vingt kilomètres, ce genre de mésaventure prend des airs de catastrophe. Mais Paulette en a vu d'autres dans sa vie, et ne pouvant se racheter une voiture, même d'occasion, elle s'est résolue à limiter ses déplacements au minimum, et trop fière pour demander qu'on l'emmène ici ou là, s'est mise à faire, une fois par semaine, ses courses à pied. 40 kilomètres en tout, chargée au retour de ses courses. Philosophe, Paulette a expliqué que ça la marche, ça tient en forme. Allez savoir. Trois mois après que sa voiture ait expiré, Paulette, fatiguée peut-être de ses randonnées forcées, est allée voir son médecin, qui a diagnostiqué un cancer. Malgré la prise en charge des soins à 100%, le poids de la maladie s'est vite fait sentir. Oui, le traitement de radiothérapie était gratuit, ainsi que les transports à l'hôpital, presque gratuits. Oh, peu de chose. Sur chaque voyage en ambulance pour recevoir des soins à l'hôpital, deux euros restaient à sa charge. Durant les deux mois de traitement, à deux trajets par jour, cinq jours par semaine, Paulette a dû sortir de sa poche 200 euros supplémentaires sur son budget. Pour soigner les brûlures intolérables provoquées par la radiothérapie, le médecin lui a prescrit une crème, efficace certes, mais non remboursée, à 76 euros le pot. Une broutille, pour de plus fortunés qui payent ce prix là une paire de lacets.
S'il est une constante chez les gens pauvres et âgés, c'est l'humilité et la fierté. Ceux qui ont trimé toute leur vie avec le souci d'être honnête, de ne pas demander plus que ce qu'on leur offrait, répugnent à se plaindre, répugnent même à avouer leur gêne. C'est aussi que la pauvreté est stigmatisée dans nos sociétés comme une tare honteuse. Bienheureux ceux qui peuvent s'offrir une résidence en maison de retraite. Les conditions de vie y sont souvent déplorables, mais le minimum de subsistance leur est assuré. Pour les autres, le million d'autres déjà éprouvés par des vies de galère, le troisième âge n'apporte plus ni repos ni loisirs, mais trop souvent une carte des restaus du cœur. Pour ceux qui conservent leur logement malgré tout, il n'est plus question de chauffage en hiver. Pour qui se retrouve à la rue, aucune mesure particulière n'est prise, et l'on voit de plus en plus de grand-pères et de grand-mères reprendre le chemin d'une activité professionnelle, sous payée parce que non déclarée.
Il semble évident aujourd'hui que si nous voulons que nos retraites soient payées, il sera nécessaire de travailler jusqu'à 70 ans. D'autres pays européens, et pas des moindres en matière de protection sociale, ont déjà repoussé cette limite. Sans doute devrons-nous nous plier aux nécessités démographiques. Mais il est également urgent de mettre en place un système de sauvegarde pour les plus démunis des retraités d'aujourd'hui. Au Japon, on assiste à une explosion du nombre des « papys-gangs », vieillards tellement dépourvus qu'ils ne trouvent plus leur salut que dans les braquages, ravis d'être incarcérés quand ils ratent leur coup, puisqu'en prison au moins on leur assure le gîte et le couvert. En France, depuis 2008, le Rassemblement pour la Gueux Pride (3) recrute de plus en plus de membres décidés à lutter contre la tendance de plus en plus forte au darwinisme social. Si les politiques, nos élus, opposent aux demandes de rééquilibrage et à l'instauration d'allocations spécifiques pour les vieux démunis le si pratique argument du manque de fonds nécessaire, changeons pour d'autres qui s'engageront, et travaillons ensemble à trouver des moyens. Nous devons entrer véritablement dans une ère de solidarité sociale, voter des textes qui amènent à une répartition plus juste des richesses. Les organisations caritatives, restaus du cœur ou fondation de l'Abbé Pierre, tirent depuis trois ans la sonnette d'alarme -- il est temps, grand temps, de faire en sorte que le « minimum vieillesse » garantisse des conditions de vie décentes à nos retraités : logement, couvert, soins médicaux, et si possible, quelques loisirs. Rejoignons en masse le collectif de la Gueux Pride, non pas en prévision de la déchéance qui attend bon nombre d'entre nous si rien n'est fait, mais d'abord pour ceux qui aujourd'hui s'enlisent dans la misère et n'ont d'autre ressource que de faire les poubelles pour manger. N'acceptons pas l'argument budgétaire : on trouve bien du pognon pour sauver les pandas, les dauphins, les banquiers, toutes espèces bien moins dignes que l'homme... on en trouvera aussi, si l'on cherche, pour les vieux, les étudiants, les familles monoparentales, toutes catégories dont nous évoquerons bientôt les spécificités. En France, près de 14% de la population, huit millions d'hommes, de femmes et d'enfants, vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Notes
1. Les logements sociaux, financés par l'Etat et les collectivités locales, sont destinés à des foyers à revenus modestes qui auraient des difficultés à se loger sur le marché libre. Les loyers y sont modérés. On compte en France 71 logements sociaux pour 1000 habitants, taux relativement bas en comparaison de celui des Pays Bas, par exemple (147 pour 1000), mais très supérieur à celui de l'Espagne (3 pour 1000) ou même de l'Allemagne (27 pour 1000) (back)
2. Travail au noir : travail non déclaré, sur lequel aucune cotisation n'est prélevée. (back)
3. Gueux : celui qui est réduit par la plus extrême pauvreté à la mendicité. Le site de la Gueux Pride : http://gueuxpride.marsnet.org/spip.php?page=sommaire (back)
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