Swans Commentary » swans.com 22 mars 2010  

 


 

 

Swans en français

 

Comme...
 

 

Christian Cottard

 

 

 

 

(Swans - 22 mars 2010)   Comme, malgré la crise, il était encore en paix, ce pays, en cette fin de Juillet...

Comme elle était paisible, l'ambiance de cette petite ville de la côte normande à l'heure où l'on remonte de la plage...

Comme ils étaient aimables, les trois jeunes gens qui dévalaient en bicyclette l'Avenue de la plage dans la lumière rasante de cette fin d'après midi d'insouciance...

Comme ils riaient à jeunesses déployées, leurs blondes chevelures en queues de comètes, poussières dans l'air du soir, décoiffées en vagues par la vitesse et le vent de terre...

Comme ils glissaient dans l'air du soir, ces trois là, de la musique plein les oreilles, seulement suivis de leurs sourires éclatants et de leurs chants joyeux...

Comme ils étaient minces et beaux dans leurs pulls marins rayés bleu et blanc, dans leurs pantalons de lin blanc, dans leurs espadrilles de cordes, dans leurs peaux de jeunes gens, leurs vingtaines splendidement tartinées de vitamine D...

Comme il est bruyant, le bonheur quand on veut l'imposer aux autres...

Comme à côté d'eux, sur le trottoir d'en face, nous paraissions vieux, flasques et fourbus dans nos shorts pendants, nos peaux pelées, nos nez brillants, nos tongs affaissées...

Comme il semblait lui aussi, fatigué l'écrivain assis en terrasse, attendant, un carnet devant lui, un stylo à la main, au carrefour de l'avenue de la plage et de la rue des Marées...

Comme rougis ils étaient, par l'effort et la chaleur qui régnaient, les deux ouvriers qui ahanaient en déménageant les piles de livres de l'ex Bibliothèque Arthur Rimbaud, tout en haut de la rue des Marées. Dire qu'ils devaient encore descendre le tout, en bord de mer, dans la Médiacothèque Eric Zemmour, flambant neuve, construite le long de la plage, juste à côté du tout nouveau casino...

Comme ils pestaient, les deux, après ces écrivains qui noircissent des pages et des pages et produisent des volumes et des volumes alors que, hurlaient-ils, leur dernier colis dans les bras, dix livres pour tout dire suffiraient ! Dix ! Pas un de plus ! Tu as raison mais heureusement pour nous qu'ils s'y sont mis, qu'ils se sont attelés à la tâche, qu'ils y ont perdu la vue quand ce n'était pas la raison, sinon à côté de quels grands moments serions nous passés...

Comme ils ont refermé les portes avec soulagement, ils n'aimaient pas bien travailler pendant que les autres se tournaient les pouces en se la coulant douce...

Comme, d'un coup, sous l'effet de la fermeture de la porte arrière, il s'est mis à avancer, droit vers la mer, le camion rempli de livres...

Comme il était horrible, le rictus du chauffeur qui venait de comprendre que le frein à main avait salement lâché...

Comme les jeunes gens en bicyclettes, plus bas, là-bas, tout occupés d'eux-mêmes, ne voyaient rien venir...

Comme elles dévalaient maintenant à très grande vitesse les six tonnes des tomes du camion rouge...

Comme le bruit allait être effroyable...

Comme l'écrivain allait, enfin, avoir du grain à moudre... Encore une bande de joyeux drilles qui diront partout que la lecture est d'un ennui mortel, pensa-t-il, cyniquement...

Comme le choc fut rude...

Comme notre honte fut passagère après le « bien fait » qui nous est venu, quand on a vu qu'ils avaient, les trois jolis, fini leur course, à peine décoiffés par le camion, quand même un peu éparpillés, les fesses rosies par la fraise et la framboise des bacs de sorbets et de glaces italiennes...

C'est peu après que l'ambulance les ait emporté vers l'hôpital le plus proche, pour vérifier, qu'à l'intérieur du camion, allumés par on ne sait quoi, que les livres ont commencé à brûler...

Et c'est ensuite que tout a dégénéré... Le feu s'est propagé à la vitesse d'un guépard affolé... C'est par l'église en bois nouvellement réhabilitée en supérette que tout le reste s'est embrasé...

La ville fut réduite en un sale tas de vraies cendres en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire.

Ne restaient plus debout, face à l'océan, en un désastre posthume, que la carcasse en acier du casino clinquant neuf et, en un triomphe légitime, que les épais murs de pierre de la maison du peuple, devenue, depuis le dur de la crise, restaurant solidaire...

 

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L'auteur

Christian Cottard est né en 1953 et vit à Velleron où il exerce la profession de professeur d'EPS. Il publie régulièrement sur son blog, C'est pour dire ...   (back)

 

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Published March 22, 2010



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