Marie Rennard
(Swans - 22 février 2010) Oui, causons-en, car à défaut de débattre toujours, on parle beaucoup. A la télévision, à la radio, au bureau, au Café de la Gare, partout, depuis quelques mois, on s'exprime avec ferveur - puisqu'on nous pose la question, sur le sujet de l'identité nationale Française.
Pendant qu'on cause de ça, on ne pense pas à autre chose. Par exemple à la crise économique, au chômage ambiant, au bouclier fiscal pour les riches et à la soupe populaire pour les pauvres. L'objectif de Notre Président, depuis le début, était clair. Désigner aux malcontents un bouc émissaire, pour, à la veille d'une élection, rallier au giron de l'UMP les voix de la droite populiste - un moyen qui a de tout temps fait ses preuves quand il s'agit de faire croire aux gens qu'ils ont mal au pied alors que c'est sur la tête qu'on les frappe.
L'essentiel, avait expliqué Nicolas Sarkozy à ses lieutenants, étant qu'on entende bien les termes de « national », « immigration » et « sécurité ». Je veux, disait-il, « du gros rouge qui tache. »
Le voilà servi selon ses espérances. Outre les déclarations de ses ministres et de ses sympathisants (les déferlements de musulmans de Gaudin ou la proscription du verlan par Morano) (1) une moitié de la France déverse sa bile sur l'autre, et chacun mesure à son aune l'identité de tous.
Une simple consultation du site officiel du Gouvernement consacré au « débat », (où presque 30% des contributions traitent du problème de l'immigration) montre bien qu'on en n'appelle jamais vainement à la haine de l'autre ni à une certaine forme de fierté nationale d'où sont exclues la réflexion, l'analyse, et bien souvent la simple connaissance des sujets évoqués. On assène, sans rien expliquer, sa conviction profonde, sans ambition de convaincre, d'ailleurs, tant il suffit souvent d'être convaincu soi-même pour se trouver raison.
Ainsi « La France, écrit un contributeur modéré, a cette particularité d'être différente de tous les autres pays d'Europe ». Sommes-nous donc si différents de ces Italiens qui encensent un Berlusconi quand il décide, au nom de « l'intégration » de recenser les enfants d'immigrés dans les écoles afin de limiter leur nombre ; des Espagnols, qui paient une misère des travailleurs d'Afrique du Nord pour ramasser les fraises à quatre pattes douze heures par jour ; ou des Anglais, qui renvoient chez eux par charter des mômes Afghans venus chercher une vie meilleure ?
« Etre Français, écrit un autre, c'est payer des impôts pour des gens qui n'ont que faire de la France, et accepter que nos enfants en crèche n'aient pas de porc à manger à la cantine ». Comment peut-on faire preuve d'autant de mauvaise foi ? Seuls les enfants dont les parents en font la demande se voient servir un plat de remplacement les jours où du porc est prévu au menu. Je me souviens de la détresse du plus jeune de mes fils lorsque, lors de sa première semaine de CP, il m'avait expliqué qu'il ne pouvait manger avec ses copains parce qu'ils étaient tous à la table des « sans porc ». C'est ainsi que j'avais découvert que «pour des raisons de logistique » les enfants musulmans et juifs (qui constituaient le réservoir de potes de mon garçon) mangeaient à des tables séparées. S'il fallait trouver un défaut au système, ne serait-ce pas plutôt celui-là : la séparation des enfants de différentes confessions lors des repas ?
« Etre Français, c'est respecter la Marseillaise et le drapeau tricolore ». Hors cela, tout est possible ? Gainsbourg, Coluche, où êtes vous ? Dans la Sarkozie d'aujourd'hui, il existe un délit d'outrage à la Marseillaise, et tout contrevenant encourt 7500 euros d'amende et six mois de prison ferme si l'outrage est commis en réunion. Un texte voté par les députés de droite comme par ceux de gauche sans qu'une seule voix s'élève dans l'hémicycle. Etre Français, de nos jours, c'est aussi cela : se voir dénier le droit élémentaire de gueuler à plusieurs I fuck la Marseillaise.
« Etre Français, c'est connaître l'histoire de France ». Ce serait mieux, sans doute. Mais il faut bien constater que le sens de l'Histoire se perd, et que si les Français répondent comme un seul homme « Marignan » (2) quand on leur dit 1515, c'est sans pouvoir préciser qui est ce Marignan-là ! Allons, bien des Français ignorent leur histoire, ou leur littérature, qu'elle soit ancienne ou moderne - 20 % d'entre eux souffrent même d'illettrisme, en sont-ils moins Français pour cela ?
C'est que peut-être nous n'avons pas entendu le distinguo. Y'a une différence entre l'illettré qui dit Vas-y don avec l'accent du Morvan, et celui qui dit Zyva-là avec l'accent des quartiers de Marseille.
« Etre Français, c'est payer ses impôts en France ». Seigneur, allons-nous devoir nous priver de la gloire d'avoir des rockeurs, des footballers, des tennismen Français ?
« Etre Français, c'est appartenir à une lignée qui vient du fond des âges... sa composition ethnique (celle de la France) est restée quasiment inchangée jusqu'au début des années 70 : blanche, européenne et chrétienne ». Exit Hannibal, Attila, exit les Arabes à Poitiers. Sans doute l'auteur de cette contribution considère-t-il lui aussi la connaissance de notre histoire comme un facteur essentiel de l'identité nationale. Sans doute considère-t-il comme quantité négligeable, le million d'immigrés recensés en 1880 (on n'a commencé à comptabiliser les immigrés en France qu'à partir du recensement de 1851). Ils étaient, en 1931, presque 3 millions, soit 7 % de la population totale, une proportion jamais égalée depuis. (3)
Les âneries et les contre vérités s'amoncellent, au point que, me faisait récemment remarquer ma voisine, la France pourrait avantageusement être définie comme « un pays où n'importe qui a le droit de dire n'importe quelle connerie ». Heureusement.
Heureusement aussi, bon nombre de Français s'insurgent de cette vague d'ignorance, de bêtise et de xénophobie à la tête de laquelle, malheureusement, se placent nombre d'élus.
Issue moi aussi de l'immigration, et ayant porté jusqu'à mon mariage un nom de maffieux calabrais, je me réjouis de ce que mes parents et mes grands parents aient été Français, me dispensant ainsi de devoir prouver aux autorités ma nationalité pour faire renouveler ma Carte d'Identité ou mon passeport. Ceux qui sont nés de parents Français à l'étranger, ou en France de parents étrangers, doivent désormais fournir un justificatif de nationalité française pas toujours facile à obtenir.
Qu'est-il besoin de tant d'encre et de salive pour définir l'identité nationale ? Elle est dans les textes : Est français tout individu ayant au moins un parent Français, ou né en France d'un parent né en France, ou né en France de parents étrangers (au moment de l'accession à la majorité légale), (4) ou naturalisé.
C'est comme ça que mon arrière grand-père est devenu Français. Il s'est fait natouraliger, et causait dans la langue de Molière comme Catherine de Médicis elle-même. C'était sa grande fierté, et gare à qui l'aurait traité de Rital.
Français, on l'est par le droit de sol ou le droit de sang, ou parce qu'on a demandé et obtenu le droit de l'être.
Et c'est le fait d'être Français qui nous autorise à nous prévaloir de nos droits et de nos libertés, sans distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
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Notes
1. Je me souviens, à ce propos, d'un spectacle où Fabrice Luchini récitait en Verlan le Corbeau et le Renard de La Fontaine. Un vrai grand moment d'identité nationale qui unissait tous les talents. (back)
2. Ville de Lombardie où François 1er livra bataille aux Suisses en septembre 1515 pour la possession du Duché de Milan. (back)
3. Ils étaient 3.2 millions en 1999. (back)
4. A la seule condition qu'ils résident en France lorsqu'ils atteignent l'âge de 18 ans et qu'ils y résident habituellement depuis l'âge de 11 ans (sur une durée minimale de 5 ans). (back)