(Swans - 12 septembre 2011) La première édition du Sentier des nids d'araignées (Il sentiero dei nidi di ragno) d'Italo Calvino date de 1947. Quelques années plus tard, durant une interview en 1983, à propos de son premier roman, Calvino dit: "Après un certain temps j'ai fait des corrections, car j'avais écrit des choses qui m'apparaient trop brutales ou excessives".
Le Sentier des nids d'araignées, (qui se déroule dans un petit village de la Ligurie, une région italienne du nord-ouest, à la "Riviera du Ponent") est un roman sur la Résistance italienne antifasciste et anti-nazie pendant la deuxième guerre mondiale. Mais c'est un peu plus qu'un conte, si l'on pense à ses contenus autobiographiques et à la conflictualité de l'auteur avec l'interprétation traditionnelle de ces événements historiques.
Raconter les événements du détachement d'un groupe partisan de la guerre de Résistance (Calvino a partagé personnellement le mouvement de résistance partisan) a été comme s'engager dans les méandres de la mémoire historique, avec sa part de chagrins et ses propres convictions. Jeune étudiant universitaire, écrivain maquisard, Calvino critique ses origines bourgeoises, il entre dans le groupe de la Résistance en partageant tout avec les autres maquisards, malgré la difficulté de son appartenance à un monde différent et à cause de son extraction sociale; peut-être la même difficulté que le protagoniste du livre, Pin (quoique les conditions soient différentes), un enfant catapulté dans le monde adulte: "Le protagoniste symbolique de mon livre a été donc une image de régression: un enfant" (Le Sentier des nids d'araignées, Préface, 1964). Les faits se montrent à travers les mots, ou mieux, l'écrivain néo-réaliste Cesare Pavese dit: "à vingt-trois ans Italo Calvino sait que pour raconter il n'est pas nécessaire de créer des personnages, mais qu'il faut changer les faits en mots".
Mais le jeu des mots démasque une terrible vérité : la brutalité des hommes, la rage et la vengeance, cette "fureur" de guerre qui nous rapproche: le cas marque les vicissitudes du 'protagoniste' Pin, le petit garçon du Carrugio Lungo (le petit village où est située l'histoire), avec sa soeur prostituée (et ensuite collaboratrice des Allemands).
Pin est un enfant inadapté et trop petit pour appartenir au monde des adultes, mais il est aussi différent des enfants de son âge. Il y a beaucoup de choses que la vie lui a fait découvrir selon le cas ou selon le destin. Les blessures profondes ont creusé un repaire en Pin, mais c'est un repaire secret dont le petit garçon se rappelle quand il traverse le "sentier des nids d'araignées", quand il a besoin de se cacher dans 'son' repaire pour étouffer le mal qui l'entoure: "[...] il y a un lieu, où les araignées font leur nids et que Pin seul connaît [...]. Là dans l'herbe, les araignées font des 'tanières', des tunnels recouverts d'un ciment d'herbe sèche; les tanières ont une petite porte, – quelle merveille – elles ont une petite porte ronde qui s'ouvre et se ferme". Le nid est son "lieu secret", il lui appartient ; mais la guerre creuse en soi-même des 'fosses'; car tous les hommes cherchent un nid, même d'araignée, un coffret secret dont on a perdu la clef, un repaire noir et silencieux, une chambre isolée où tout se tait, sauf le conflictuel vacarme du 'Moi'.
Les événements sont soudains: à cause du vol d'un pistolet (d'un marin allemand client de la soeur de Pin) Pin va en prison où il rencontre Loup Rouge, un jeune maquisard communiste. Après la fuite de la prison, il rencontre un autre maquisard, Cousin (un gros bonhomme solitaire) et son arrivée au détachement du Droit (le chef d'un groupe de la Résistance, constitué surtout de fugitifs échappés aux ratissages nazis et fascistes). Tout ça lui montre une nouvelle route, d'autres verités misérables mais pareilles à la sienne; les anti-héros du détachement se reconnaissent en partageant la pauvreté et l'abandon... Pourtant ils sont tous désavoués, les oubliés du monde s'invectivent entre eux, pour donner libre cours au malaise non pas idéologique, mais plutôt existentiel et collectif. Donc c'est ça, le sens politique de l'histoire ? Ce "travail politique" dont parle le commissaire Kim pendant sa visite au détachement, quand il dit: "nous avons une blessure secrète, on combat pour la racheter" (cap. XIX).
Calvino fait allusion à tout ça, quand dans la préface du roman il écrit: "Ah oui, voulez-vous "le héros socialiste"? Voulez-vous le "romantisme révolutionnaire"? Et je vous donne une histoire de maquisards où personne n'est un héros, où personne n'a conscience de classe. Je vous répresente le monde des "lingères", le lumpen-prolétariat! Ce sera l'œuvre la plus positive, la plus révolutionnaire! Qu'est-ce qui nous importe de celui qui est un héros et qui a une coscience? On doit répresenter le procédé pour 'arriver'!" (Le Sentier des nids d'araignées, Préface).
Pin est un enfant et donc il est curieux, il aime connaître des choses et des mots nouveaux, que les autres camarades du détachement emploient (gap, troschista, etc.), et qui alimentent son imagination et sa soif de connaissance. Tout ça le renforce et l'aide à former sa "conscience de classe", malgré son attitude goguenarde pendant tout le récit, et lui donne un sens d'appartenance et un réconfort.
La scène finale est suggestive, (dans la nuit Pin marche avec le maquisard Cousin, parmi les vers luisants); maintenant tout est fini et la nième bataille, le combat avec les nazis-fascistes a eu ses morts, ses blessés et traîtres. Pin est de nouveau seul; mais encore une fois le bon maquisard Cousin l'aide. Pin sait qu'il peut compter sur Cousin, il a un ami, ce gros homme solitaire mais bon, il peut lui montrer son sentier des nids d'araignées, c'est la raison pour laquelle il lui permet de lui donner la main en marchant "cette grosse main, douce au toucher et chaude comme le pain".
"Il y a dans ces pages – écrit Pavese – un éternel sentiment de grand air, de campagne, de vue ..., du monde de Dieu. Même les brigades noires, [...] sont vues de cette façon par l'écureuil Pin. Ils sont noirs, osseux, avec les visages bleuâtres et les moustaches de rat. Quelqu'un a-t-il jamais dit mieux ?"
Et si la nature adoucit son mal intérieur, Pin sait qu'il doit combattre (pendant que ses larmes nettoient son visage d'enfant, plein de taches de rousseur) pour garder vivante la douleur de ses 'blessures', qui parlent de son passé, de la misère et de la faiblesse humaine. "Un jour, peut-être, on pourra être sereins, et nous ne comprendrons plus beaucoup de choses, car nous saurons tout".
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Francesca Saieva est née en 1972 et vit à Palerme, Sicile, où elle enseigne la philosophie et la pédagogie. (back)