(Swans - 26 mars 2012) L'analyse politique est un exercice auquel, faute de formation, je ne me livre jamais sans réticences. Je lui préfère la simple compilation de faits observés, entendus, soigneusement collectés dans les journaux. Electrice assidue, je n'ai jamais manqué au devoir électoral, et j'abomine les abstentionnistes au moins autant que les électeurs du Front National. Partisane ? sans doute aucun. Ma voix s'est toujours portée à gauche, à deux exceptions près. J'ai, en tant que femme, payé une fois mon tribut à Simone Veil lors d'élections européennes dans les années 80. En tant que démocrate, j'ai voté pour Jacques Chirac lorsqu'un sort funeste a évincé Lionel Jospin du second tour des présidentielles au profit de Jean Marie Le Pen en 2002 -- vote dont je tiens responsable les abstentionnistes de tout bord qui préférèrent, cette année-là, la pêche à l'exercice républicain.
Nous voilà, à nouveau, à l'issue de cinq années de sarkozysme, prêts à élire un Président.
Les candidats en lice se répartissent comme suit. A droite, Nicolas Sarkozy (28% d'intentions de vote), à sa droite, Marine Le Pen (13%). A gauche, François Hollande (29,5%). A sa gauche, Jean Luc Mélanchon (14%). Les autres candidats ne sont présents qu'à titre de figurants. Philippe Poutou (0%), auquel manque l'élémentaire charisme de son prédécesseur Besancenot, Eva Joly, qui a réussit l'exploit de faire tomber les écologistes à moins de 2% d'intentions de votes, et l'insipide remplaçante de notre Arlette Laguiller nationale, Nathalie Artaud, que les sondages donnent, elle aussi, à 0%. Restent, pour faire bonne mesure, les deux candidats de centre droit, Bayrou et Dupont Aignant, respectivement crédités dans les sondages de cette semaine de 12 et 1,5% d'intentions de vote, et l'inexistant Jacques Cheminade, autoproclamé « gaulliste de gauche ».
Restreignons le débat aux candidats qui peuvent prétendre, sinon à figurer au second tour, du moins à influer sur le résultat final de cette élection. Sarkozy, Président sortant qu'on espère bientôt sorti, Le Pen, Hollande, Bayrou et Mélanchon.
Les deux premiers se disputent un même électorat sur le terreau pourri de l'immigration et de la sécurité. Hollande, soucieux de ne pas s'aliéner la frange la plus imbécile de l'électorat socialiste, sans abonder dans le sens de la xénophobie, joue leur jeu, comme Ségolène Royal avant lui, en portant lui aussi, actualité oblige, la lutte sécuritaire à la une de ses préoccupations. Sans aller jusqu'à la tolérance zéro, il choisit ses adjectifs : ferme, efficace, durs avec le crime. L'amalgame entre islamisme (traduisez « issu de l'immigration » -- pas l'immigration européenne, bien sûr, mais bien plutôt celle qui découle de notre passé colonialiste) et insécurité ne date pas d'hier. Les conditions de vie et d'intégration des populations visées non plus, d'ailleurs. On oublie assez facilement le fait que Mohamed Merah était citoyen français autant qu'algérien [jeune français de 23 ans qui a tué quatre hommes et trois enfants à Toulouse et à Montauban et a été abattu par la police le 22 mars -- NDLR]. N'eut-il été qu'algérien que son casier judiciaire l'eut fait expulser du territoire français depuis de nombreuses années.
Mais pour l'exception abominable que fut Merah, combien de citoyens français sont-ils victimes de l'opprobre politique, sociale et judiciaire du fait de leur couleur de peau ? N'est-il pas évident qu'il y a dans notre pays une justice partiale, et qu'un petit Louis, fils d'un respectable citoyen français de souche (on pourra lire à ce sujet le remarquable ouvrage de François Reynaert Nos ancêtres les gaulois) risque moins à bombarder de billes et de tomates un agent de police que n'importe quel Mohamed, fils d'un tourneur-fraiseur de banlieue ? La première des différences étant sans doute le fait que l'agent en question se refuse, dans le cas d'un Louis, à déposer une plainte, alors que Mohamed devra attendre quelques heures au poste de police que ses parents coupables viennent le chercher et essuyer un sermon qui n'aura rien de commun avec l'indulgence dont on gratifie, à l'Elysée, le geste facétieux d'un garnement.
Les jeunes gens du même âge (15 ans) mis en garde à vue voici quelques mois pour avoir bombardé de tomates des agents de police durant une manifestation auront apprécié la différence de traitement à sa juste valeur.
Face à l'échec annoncé, Sarkozy joue avec de plus en plus de virulence et de mouvements d'épaules du démon qu'il sait avoir prise sur les Français. Le sale Arabe, celui qui égorge des moutons dans sa baignoire. La viande Hallal est déclarée préoccupation première des Français, pas ceux qui en consomment, bien sûr. Jamais on n'était tombé aussi bas, et l'on regrette d'autant plus les angélismes d'un Jospin persuadé que le racisme céderait à un traitement d'égalité sociale -- même si l'on sait qu'il se fourrait le doigt tellement profond dans les deux yeux qu'il ne verrait pas venir, à une heure de la proclamation des résultats du premier tour de la présidentielle, ce que cette position lui coûterait de larmes.
Passons sur les mensonges éhontés du Président sortant concernant son bilan économique (progression du chômage et désindustrialisation en tête) et allons voir chez la gauche socialiste ce qui nous est proposé. Rien moins qu'une politique de droite, l'austérité du riz sans sauce, l'enculage du français moyen comme s'il était citoyen grec. Crise oblige.
Ne nous leurrons pas, nous ne couperons pas à l'austérité, d'où qu'elle nous vienne. C'est sans doute ce qui explique la séduction qu'exerce Mélanchon sur un électorat aussi bourgeois qu'ouvrier. Si les premiers succombent à sa culture, à ses qualités d'orateur, à son discours savamment à cheval sur le lustre de l'antiquité et le populisme le plus absolu, les seconds sont enthousiasmés par ses promesses sociales et son engagement prolétaire. Ce qui, pour ma part, me rend le bonhomme sympathique, réside dans son engagement total et sans faille contre la xénophobie et le racisme. Il est le seul homme politique à condamner haut et fort les dérives sécuritaires et nationalistes du Front National et de l'UMP.
On se moque, on vilipende, dans les journaux de gauche, depuis quelques semaines, cette séduction qu'exerce Mélanchon sur la bourgeoisie rive gauche, on brandit la menace d'un second 2002, on fustige la responsabilité de ses électeurs dans la possible réélection de Sarkozy. La critique est aisée, mais la responsabilité d'un tel résultat incomberait sans doute plus aux ténors socialistes qu'aux électeurs de Mélanchon. Au jeu politique, les socialistes, pressés de retrouver le pouvoir, ont oublié le sens de la gauche. Ils risquent, avec nous, d'en payer le prix fort.
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